La patience des buffles sous la pluie
de David Thomas
Recueil de nouvelles
Le Livre de Poche, juin 2011
9782253129486, 6€
Présentation de l’éditeur :
Je sais qu’elle m’a aimé mais qu’elle ne m’aimera jamais plus. Je n’en souffre pas. J’accepte son absence comme quelque chose d’irrémédiable. Je n’attends rien, je ne souhaite que de me retrouver seul sans son image floue. Je trouve cela long, si long qu’il m’arrive d’en désespérer. Alors, parfois, pour me rassurer et parce que je refuse de me battre inutilement contre ce qui me dépasse, je songe à ces buffles dans ces plaines africaines qui, lorsque l’orage s’abat sur la savane, se maintiennent solidement sur leurs quatre pattes, baissent la tête et attendent, immobiles, que cesse la pluie. D. T. Préface de Jean-Paul Dubois.
Mon avis :
Après une très belle préface de Jean-Paul Dubois, on entre dans ce livre avec toute l’attente que nous offre ce titre, à la fois beau et intriguant. Ce n’est pas un roman – pas vraiment – même si on croit parfois reconnaître des personnages récurrents, chaque histoire / nouvelle est indépendante des autres. Comme le Christian Aulhier du journal “Le Figaro” ces nouvelles sont des instantanés de vies ordinaires.
J’ai commencé par lire ce livre à la suite, page après page, j’appréciais les mots, je trouvais ces instantanés grinçants, touchants, parfois drôle. Pourtant c’est ce matin en reprenant le livre que j’ai trouvé MA façon de lire ce livre… au hasard! Les nouvelles ne font guère plus d’une ou deux pages, et ne se suivent pas vraiment, alors piocher dans ce livre est un vrai bonheur. On y lit pourtant beaucoup d’histoires de couples, de séparations, mais chacune à sa manière nous emporte dans son histoire, puis nous laisse avec nos propres souvenirs. Parce que ces instantanés sont tellement des morceaux de vie qu’on en a tous vécu quelques-uns, nous ou quelqu’un qu’on connait…
J’ai particulièrement apprécié certains textes. Sudoku m’a fait rire, Surprise aussi, avec ses trois points de vus, et les différences dans l’histoire… D’autres m’ont pris à la gorge… Le seul inconvénient à lire au hasard c’est que j’avais peur de rater un texte, mais quel plaisir de retomber sur un texte déjà savouré, et d’en reprendre une bouchée!
Lire ces dialogues, ces échanges ou ces pensées c’est plonger au coeur du monde, dans ce qu’il a de plus intime, vicéral ou superficiel. C’est un peu vivre.
Extraits :
Arnaque
Vous, les écrivains, vous êtes une belle bande d’arnaqueurs. Ah ca, tu m’as bien embobinée avec tes bouquins. Ah ça, pour écrire des jolies choses t’est le premier, mais pour les vivre, y a plus personne. Ça oui, pour faire des jolies phrases t’est en tête de peloton, je reconnais que t’es bien placé, mais pour ce qui est du quotidien,permets-moi de te dire que t’es franchement à la traîne. T’es même carrément nul. Faut pas croire tout ce qu’il écrit, madame, croyez-moi, je vis avec lui, faut pas croire UN mot de ce qu’il écrit. Ce type-là n’a jamais foutu les pieds sur les îles Sakhaline, ni au Japon, ni à Caracas, c’est un pantouflard, un vrai, pour partir en vacances trois jours, faut négocier deux mois. Les armes à feu, il connaît pas, si ses personnages savent les démonter dans le noir, lui il n’en a jamais vu, ce serait même du genre à se tirer une balle dans le pied avec. Quand à ses héros capables de fabriquer des centrales nucléaires avec une capsule de Sprite et deux bouts de fils de fer, là aussi c’est de la flûte, il sait rien faire de ses dix doigts, lui mettez pas un casse noix entre les mains, il serait foutu de se pincer. Et les sentiments, Ah ! T’en a fait, soupirer des femmes avec tes pages écrites bien comme il faut, ah oui, les lectrices, tu sais aller les chercher, tu sais les cueillir, mais moi je peux me brosser ! Bon et puis les scènes d’amour, je préfère pas m’étendre, je voudrais pas blesser. Non, non, un vrai tocard, je vous dis. De la pure arnaque.
Mezzanine
Je sais qu’elle me regarde. Elle est là, dans la mezzanine et je sais qu’elle m’observe travailler en bas. Elle fait souvent ça et je crois qu’elle s’est rendu compte que je le savais. Ce qui est sûr, c’est que depuis huit ans que nous habitons cette maison, ni elle ni moi ne l’avons jamais évoqué. Moi, je fais toujours comme si je ne la voyais pas. Je ne sais pas très bien pourquoi elle fait ça, mais ça m’amuse. J’aime bien ce petit jeu.
Gamberge
Tu gamberges. Tu regardes ta vie. Ça ne colle pas. Alors tu déprimes. Combien de vies ratées pour une vie réussie ? C’est quoi, les proportions ? Qu’est-ce que j’ai mal fait pour en arriver là ? C’est quand, que j’ai merdé ? J’ai encore le temps de me rattraper ? Combien de chances il me reste pour m’en sortir pas trop mal ? Elle peut encore changer, ma vie ? Je ne suis pas fait pour cette vie-là ? Ça se change, une vie ? Je veux dire, ça se change vraiment ? C’est quoi, le problème ? C’est ma névrose ? Comment on fait pour tordre une névrose ? J’ai mangé mon pain blanc, alors ? Je l’ai mangé sans m’en rendre compte, c’est ça ? Je vais encore ramer longtemps comme ça ? C’est encore loin, l’Amérique ? Est-ce qu’un jour moi aussi je mâchouillerai un brin d’herbe sous un saule en me disant que la vie est belle ? Qu’elle est sacrement belle ? Faut que j’arrête de gamberger, c’est pas bon.
Et Bonne rentrée à tous les profs ;)