6- Tiphanya

Autour de moi tout le monde est persuadé que je suis faite pour être écrivain. C’est bien gentil, mais il n’ont jamais
lu un seul de mes textes. Normal, je n’en ai quasiment aucun. Mais ils n’ont pas lu non plus mes horribles dissertations de collégiennes. A l’époque déjà je manquais sérieusement d’imagination et
la prof ne se gênait pas pour me le dire. Faut dire qu’elle avait raison. Je sais peut-être mettre correctement les phrases les unes à côté des autres et éviter les fautes d’orthographes, mais
c’est loin d’être suffisant pour être auteur. Enfin selon moi. Il est vrai qu’à la lecture de certaines œuvres, il me semble flagrant que le monde entier ne partage pas mes critères.

Mais quand ce sont-ils mis à croire en moi ? Ce n’est pas comme si je leur avais fait miroiter un prochain livre, un manuscrit top-secret sur lequel j’aurais pu travailler. J’aime bien me faire
mousser, mais de là à prétendre être dans des projets hautement intellectuel alors que je me contente de courir de la maison au boulot et vice-versa en passant par la case supermarché de temps en
temps… Non, c’est pas mon genre.
Pourtant le bruit à commencer à circuler et on me demande de plus en plus souvent des nouvelles de mon roman. J’ai répondu en toute sincérité et j’y ai gagné une réputation de modestie. Moi,
modeste ! Je mettrais bien le tout sur le dos du dérèglement climatique, mais depuis l’arrivée de la grippe HG7K9, c’est passé de mode.

Alors me voilà. Toute seule comme une pauvre idiote, avec mon ordi sur les genoux, à espérer que chaque lettre tapée sur mon clavier me rapproche de l’illumination. Vous savez, ce flash qui vous
transforme en grands esprits ou en auteur à succès. Peut-être qu’en appuyant sur tel combinaison de lettres, le courant me traversera et d’un coup j’aurais en tête une galerie de personnes
attachant (dont un totalement haïssable), un décor spectaculaire et surtout, surtout une intrigue bien ficelée. Quoique, je n’en demande pas tant. Il paraît que certains auteurs se lancent dans
leur récit sans en connaître la fin.

Avant ça j’ai passé des heures entières à lire, beaucoup, tout et n’importe quoi. Si je mélange bien et que je tente de sortir quelque chose de correct de l’ensemble, voici les personnages qui
hanteraient mon roman.
Tristina, jeune adolescente qui se sent en marge dans son lycée et qui est folle amoureuse d’un mec tout autant exclu, Brian. Ce dernier cache un lourd secret et reste volontairement loin de ses
camarades de classe, car oui, c’est un vampire. Et en ce moment il a fort à faire car son demi-frère, Horatio, a décidé de venger la mort de son père, assassiné il y a dix ans. Suite à un rêve
particulièrement troublant, Horatio est persuadé que c’est son oncle le coupable. Brian aimerait bien l’aider, mais il craint que Tristina ne tombe amoureuse d’Horatio.

Finalement, je l’ai ma base de départ, une superbe intrigue à base de trio amoureux, fortement inspiré de la bit-lit et vaguement d’Hamlet. Mais je pense que je ne suis pas assez romantique pour
créer un suspens amoureux insoutenable qui me permettrait de scotcher mes lectrices pendant cinq cents pages. Il suffirait à Brian de déclamer sa flamme à Tristina pour se la mettre dans la
poche, puis de trouver un moyen tout en subtilité de lui révéler son secret (genre sauter d’un immeuble à l’autre, refuser de manger des oignons ou bêtement laisser un livre de mythe vampirique à
la disposition de Tristina). Quant à Horatio, il pourrait jouer la folie, mais ça me gonflerait encore plus. Du coup, il irait directement voir son oncle, un flingue à la main (arme qu’il aurait
piqué à, heu, son nouveau beau-père) et hop, un deuxième problème de régler. J’ai de quoi écrire une nouvelle pour midinette mais pas plus.
Et si j’échangeais quelques peu les rôles, l’histoire serait tout aussi invraisemblable.

Certains auteurs s’inspirent de leur quotidien et c’est d’ailleurs probablement pourquoi on considère que les premiers romans sont fortement autobiographiques. Mais encore faut-il que le premier
roman écrit soit le premier roman publié. Enfin peu importe. Dans mon cas, voici une nouvelle galerie de personnages, attention, ça reste très imaginaire.
Louise est jeune femme atteinte d’agoraphobie. Elle passe donc ses journées chez elle sur son ordinateur. Elle suit des cours par correspondance et discute beaucoup avec d’autres étudiants aux
quatre coins du monde. Elle essaye aussi d’écrire un roman.
Marin, jeune homme travaillant comme pâtissier aux États-Unis. Il étudie par correspondance pour avoir une licence et pouvoir ouvrir sa propre pâtisserie mais au Canada.
Les deux personnages vont échanger d’abord des messages ennuyeux sur la presse britannique afin de réaliser leurs devoirs, puis Marin va aider Louise à écrire son premier roman.

A partir de là, je pourrais de nouveau me lancer dans une folle histoire d’amour, mais mon côté sadique s’y oppose. Du coup, je serais plus du genre à tout centrer sur l’épanouissement
professionnel de Louise et la rencontre des deux personnages dans le tout dernier chapitre. Si vous voulez de l’amour, débrouillez-vous.

Mais aucune de ces deux histoires, aussi farfelues soient-elles ne m’emballent suffisamment pour me pencher dessus pendant de longues heures. Il me faudrait imaginer Louise, son appartement, ses
parents, son chat ou son chien ou son poisson rouge ou alors pire, sa voisine. Puis je devrais créer le boulot de Marin, essayer de savoir ce qu’est le métier de pâtissier, moi qui cuisine à
peine et ne sait pas faire la différence entre un chou à la crème et un profiterole.
Et je ne vous parle pas des insomnies qui m’attendent à essayer de transformer Louise en auteur à succès !

Finalement je ne suis peut-être pas faite pour être écrivain. Mais alors pourquoi m-a-t-on remis cette bourse ? Pourquoi ma photo est-elle dans le dernier bulletin régional comme étant la
chenille qui vient d’obtenir le droit d’éclore et d’enchanter les foules. Heureusement la bourse allait avec un an d’écriture. Mais c’était il y a huit mois déjà. Il ne me reste donc plus que
quatre mois pour devenir soit fantastique, soit honnête !

 

Tiphanya

 

 


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A propos Herisson

Passionnée de littérature jeunesse, dévoreuse de livres, jeune maman !
Pour marque-pages : Permaliens.

8 Commentaires

  1. Merci…j’ai bien rigolé, surtout l’attente de l’idée géniale l’ordi sur les genoux…!

    moi c’est l’inverse, je suis trop gnangnan et risquerais d’ennuyer mes lectrices juste en décrivant le premier baiser!

    Bon courage

  2. J’adore la chute ! A elle seule, elle montre bien que tu as le talent nécessaire pour devenir un grand écrivain. Il ne manque plus qu’un seul composant pour ton futur grand roman : de la sueur ! Bon courage :)

  3. Allez, même si je me fais de la concurrence à moi-même, tant pis, je vote pour toi ! J’ai adoré ton texte ! (quoi, qui a dit qu’il y avait beaucoup de moi dans tout ce que tu décris ??? ;-)

    En tout cas, bonne continuation, et croise les doigts, l’inspiration finira bien par venir !

  4. Je vois qu’on est plusieurs à ne pas hésiter à passer voter pour les autres. Merci beaucoup en tout cas.

  5. Hé bien pour quelqu’un qui se prétend incapable d’écrire. Moi je trouve cela génial.

    Bonne “continuation”

  6. Tu m’a bien fait rire avec ton texte. Les mises en abîme c’est toujours sympa!

  7. Je vote pour Typhania, en espérant qu’elle trouve l’inspiration !

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