Libérez l’ours en vous – Carole Trébor

Libérez l'ours en vousRoman pour adolescents, dès 13 ans
Vie quotidienne et théâtre

Libérez l’ours en vous

de Carole Trébor

Syros, 2018
9782748521306 – 17,95€

Loin de ses récits fantastiques comme Nina Volkovitch ou de science-fiction avec U4, Carole Trébor nous propose avec Libérez l’ours en vous un récit contemporain, une tranche de vie d’adolescents d’aujourd’hui. Petit clin d’oeil à la Russie tout de même, avec un personnage d’origine russe, Kolia, mais pour le reste, on est dans la campagne française. La campagne viticole, facilement raciste, ou tout du moins prompte à ne pas accepter l’étranger.

Libérez l’ours en vous est un récit complexe, avec trois histoires principales imbriquées. Celle d’un groupe de lycéens, impliqués dans un club théâtre. Celle de leur professeur de théâtre, cette année absente pour maladie. Et celle de la pièce de théâtre Merci l’ours écrite par cette professeur de théâtre, et qui raconte sa propre jeunesse. Trois histoires qui ne font que se couper, se mêler, s’entremêler. Des résonances apparaissent entre toutes ces histoires, entre toute ces personnalités et avec Merci l’ours, la pièce de théâtre que les adolescents vont découvrir peu à peu et monter. Les thématiques qui les rapprochent, les font bondir ou exploser…

Dans Libérez l’ours en vous, la galerie de personnages est très large, et tous sont les propres narrateurs, en alternance. Cette profusion de narrateurs, aux histoires complexes, m’a désarçonné. Si j’aime les récits alternés, j’ai trouvé ici que cela desservait parfois l’histoire, car on ne prend pas le temps de s’attacher aux personnages. Kolia par exemple, qui est un des personnages centraux, nous raconte une grande partie de sa vie : la perte de sa mère et de sa grand-mère, sa nouvelle belle-mère, son père qui ne comprend pas sa passion… Pourtant le tout manque d’un petit quelque chose pour que le déclic se fasse réellement. Finalement je crois que ce récit fonctionne un peu comme ça. Soit vous adhérez à Kolia (et Lisa), et vous adhérerez au livre, soit non, et le récit perd une partie de son intérêt.

J’ai lu ce livre en lecture commune avec Lael, ce qui nous a permis d’échanger sur notre ressenti, et la problématique des personnages est vraiment celle qui me semble centrale dans l’appréciation de ce roman. Le côté théâtre, les thématiques abordées, tout le reste est intéressant et offre un beau récit, je regrette donc d’être restée sur ma faim, au point de préférer les petites soeurs aux personnages principaux… Les relations parents – enfants, souvent mises en avant par les personnages, l’immigration, l’humour, tout un tas de petites choses qui font que ce livre reste une belle lecture. Les modalités du récit sont variées, théâtre et narration bien sûr, mais aussi mail, sms, chanson, articles de presse… un mélange réussi.

Libérez l’ours en vous est un roman contemporain qui réussit habilement à allier théâtre et récit moderne, pour autant la galerie de personnage n’a pas réussi à m’entraîner au coeur de cette histoire.


+ la pièce Merci l’ours existe vraiment et a été écrite par Carole Trébor. On peut la retrouver via l’application Syros Live, de même que les chansons qui en font partie.

+ Découvrez l’avis de Lael, qui a, elle, apprécié le personnage de Kolia !

+ Pour la petite anecdote, chaque fois que je parle de ce roman, je veux l’appeler Libérez-vous de l’ours. Un lapsus sans doute révélateur d’une partie du récit, où l’ours n’est pas forcément celui qu’on croit !

La Onzième Heure d’Isabelle Pestre

La Onzième Heure

d’Isabelle Pestre

Premier Roman – Adulte – Rentrée Littéraire

Belfond, 2011
9782714450012, 17€

Présentation de l’éditeur :
Comme chaque année Lisbeth, 11 ans, passe ses vacances au bord de l’océan, en Charente- Maritime. Enfant lourde et pensive, elle ennuie Alice, sa mère, et ne suscite qu’indifférence chez son père. Livrée à elle même, Lisbeth rencontre un jour Misha, un immigré albanais. Le jeune homme puise du réconfort dans l’affection que lui porte Lisbeth. Et l’enfant est heureuse qu’on s’intéresse à elle.

Mon avis :

Il ne m’aura pas fallu plus de trois pages pour m’attacher à Lisbeth, pourtant je ressors de ce roman plutôt troublée.

Une famille où le dialogue est absent, des tranches de vie, une enfant pas vraiment désirée, un peu délaissée. En vacances au bord de la mer, livrée à elle même, elle vagabonde sur la plage, et rencontre  Misha. Cet émigré à l’histoire trouble lui adresse la parole, la regarde, et cela suffit pour elle.

Lisbeth est un personnage terriblement attachant, qui rend ce roman touchant. Les héros mal-aimé me plaisent toujours, ils ont cette façon de voir le monde tellement troublante, et tellement d’espoir en eux. C’est avant tout pour ne pas déranger que Lisbeth, qui a seulement 11 ans, se rend à la plage. C’est aussi pour ne pas déranger qu’elle ne se fait pas d’ami. Mais avec Misha c’est différent. Lui aussi est seul. Rejeté. Montré du doigt par la société. Alors ensemble ils vont refaire le monde, doucement. Pourtant un jour le monde extérieur les rattrape…

Ce sont les non-dits qui font de ce roman une véritable réussite. L’écriture est maitrisée, elle est belle, et surtout elle ne nous laisse imaginer notre version des rencontres. Entre celle que l’on lit du côté de Lisbeth et les certitudes des adultes. Avec tout le mystère que cela engendre. Avec aussi des secrets du passé qui ressurgissent. La peur des autres, de l’étranger. Dans l’enfance, puis à l’âge adulte. Car nous allons suivre Lisbeth, à coup de grande ellipse, pour découvrir ce qu’elle est devenue, et ce que cette histoire a laissé en elle.

J’ai tout aimé dans ce roman, les personnages, les lieux, l’histoire mais surtout la mélancolie qui se dégage de beaucoup des situations. Parmi les personnages une vieille dame m’a particulièrement touchée, avec son comportement décalé, son abandon à elle aussi… ça sonne juste, tout simplement.

La force principale de ce roman c’est sa façon de nous faire réfléchir et douter, à tel point qu’on ne peut pas vraiment en vouloir aux personnages qui séparent Lisbeth de Misha. Parce que nous ne savons pas ce qu’il en est, parce qu’on se demande, parce qu’elle n’a que 11ans. Je pense que non, on pense que non ? Et pourtant la peur de l’étranger fait que les adultes se rendent finalement compte de l’existence de Lisbeth… Je ne peux pas vous en dire plus, j’en ai déjà dit beaucoup… mais je pense que c’est dans nos esprits que s’écrit cette histoire, chacun à sa façon.

Et voilà. Sauf qu’en fait non, au lieu de s’arrêter là, sur ces questions en suspens, l’auteure décide de continuer. De faire un saut dans le temps, et de nous livre Lisbeth à l’âge adulte, de nouveau confrontée à la peur de l’étranger. Ces trente dernières pages ne m’ont pas plu. Du tout. Parce qu’elles ne m’ont pas laissé dans la nostalgie, qu’elles ont coupé mes pensées. Tant pis.

Le titre La Onzième Heure semble comme ça sans rapport, mais il est expliqué dans le livre, et rappelé ici par l’auteure elle-même dans une interview (ici) :

“La parabole des ouvriers de la onzième heure est transmise par Matthieu ; c’est la dernière des paraboles avant que Jésus ne rentre à Jérusalem pour y être condamné et exécuté. Elle raconte comment un maître de maison, dès le matin, embauche des ouvriers pour une journée de travail dans sa vigne. Au cours de la journée, à trois reprises, il offre du travail et un « juste salaire » aux hommes qui attendent. Et, à la onzième heure, l’avant-dernière heure, donc, il sort à nouveau, questionne ceux qui sont là et leur propose d’entrer dans la vigne pour y travailler à leur tour. Au soir, le maître ordonne à son intendant de payer tous les ouvriers, en commençant par les derniers. À chacun est donné, même aux ouvriers de la onzième heure, le salaire d’une journée complète. « Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers derniers. »
Dans mon livre, je m’arrête en deçà : la vie de Lisbeth pourrait correspondre à l’attente de ces ouvriers au chômage, à ce vide qu’ils traversent, aux questions qu’ils se posent et que chacun, me semble-t-il, peut se poser. Qu’attendons-nous, sinon un événement qui nous permette d’exister et de nous révéler ce que mystérieusement nous sommes ? “

Pour finir une remarque idiote, quel est l’intérêt d’ajouter un bandeau  papier sur les livres (ici avec le nom de l’auteur). Quand ils ont eu un prix littéraire, je comprends, pour accentuer le nom d’un auteur connu, pourquoi pas. Mais quand il s’agit d’un premier roman ? Alors bien sûr on est content de connaître la tête de cette auteure -Isabelle Pestre- mais la photo se trouve déjà sur la 4ème de couverture. Grande interrogation donc, que je vous transmet… Prêtez-vous attention à ces bandeaux de couleur ? Vous incitent-ils à acheter le livre ? Dans le cas présent d’un premier roman, ne trouvez-vous pas cela plutôt trompeur ? J’aurais préféré pour ma part un bandeau 1er roman, voir pas de beandeau du tout, la couverture (que je trouve d’ailleurs très belle) se suffisant à elle-même.

Un roman que j’ai beaucoup aimé, et que je vous conseille, malgré cet écueil des dernières pages…

Merci à Abeline des Chroniques de la rentrée littéraire et aux éditions Belfond pour cet ouvrage, lu début juillet!